Perdre un enfant pour un soignant
Depuis que je suis diplômée, j'ai cotoyé la mort plus d'une fois, et parfois dans des circonstances très éprouvantes pour moi, j'ai été touchée par des histoires de vie, mais jamais je ne me suis attachée aux personnes, c'est à mon sens, ce qui s'appelle, faire la part des gens!
En revanche, lorsque j'ai dû m'occuper d'enfants, et d'enfants parfois juste nés, la distance à mettre pour se protéger, était plus difficile pour moi! Et d'autant plus depuis que je suis maman! Du coup, il est devenu limpide pour moi, de ne jamais, jamais, au grand jamais partir en services de pédiatrie!
Pourtant, en réa, et surtout avant que l'Hôpital Femme-Mère-Enfant ne soit construit, nous avons eu des enfants, et j'ai dû m'en occuper, mais j'évite au max de me mettre dans une situation que j'aurai du mal à gérer, alors je m'arrange avec mes collègues que ça ne dérange pas, ou celles et ceux qui aiment!
Il est difficile pour moi de faire face dans ces situations, la mort d'un enfant est terrible! Vous n'imaginez pas à quel point il est difficile de voir "partir" un enfant! Seuls ceux, qui comme moi, y ont été, ou y sont confrontés, peuvent me comprendre. Bien entendu, je parle d'être confronté à la mort d'un enfant en tant que professionnel!
Il reste, une fois la mort prononcée, un immense vide! La douleur des parents est immense et submerge les soignants! Certaines personnes savent gérer ce genre d'instants, moi je vais gérer jusqu'au départ de la famille et du corps de l'enfant, mais ensuite, le moral chute, et il me faut me poser un certain temps pour tout remettre en route dans mon esprit! Il est certain que c'est plus facile, une fois tout le monde parti, je me force à ne pas imaginer la douleur des parents! Et puis, il y a d'autres patients dont il faut s'occuper, ça me permet de ne pas penser!
Alors que celui ou celle qui n'a jamais eu de difiicultés dans ces moments-là, me jette la 1ère pierre!
Pour ce protéger, on dit que les soignants rient de n'importe quelle situation aussi triste soit-elle! C'est vrai, mais rassurez-vous, jamais au dépend d'un patient ou d'une famille! Rire dans les moments intenses et difficiles comme la mort, nous permet un retrait plus facile! Ensuite, il s'agit d'en parler ensemble, les avis, les ressentis sont différents, chacun relativise à sa façon, et ça aide un groupe!
Cela peut choquer, et je me souviens d'une collègue, qui venait d'arriver au sein de notre équipe et qui a été choquée de voir que l'on pouvait rire d'une situation que nous venions de vivre, (nous avions failli perdre sur table un gentil petit papy qui avait de gros problèmes respiratoires)! Nous en avons discuté ensemble, et elle a compris que c'était pour nous, un exutoire, elle le savait depuis le début mais n'ayant jamais vêcu de situations similaires, elle n'imaginait pas à quel point nous pouvions "humoriser" une situation de stress intense!
Il n'y a que de cette façon qu'un soignant peut continuer à se lever tous les matins pour vivre les mêmes choses, savoir rire des pires situations que l'on puisse imaginer!
Aprés, vous me direz que je dois relativiser à fond la vie! Ce à quoi je répondrais, OUI d'une certaine façon! Je reste un être humain à part entière, et je me prends encore la tête avec des broutilles, en revanche, les situations les plus graves pour moi, de disputes familiales, de maladie, de perte d'un parent, de divorce etc prennent une autre dimension, et j'arrive à prendre un recul que tout le monde ne comprends pas, et je l'admets!
Je me souviens d'une reflexion que ma tante m'a faîte, alors que mon grand-père maternel allait DCD d'une leucémie foudroyante.
Nous étions tous montés à Limoges à ces côtés, et nous étions réunis dans l'appartement de ma soeur (tu sais Sophie celui où la porte de tes wc était tellement proche des cabinets que l'on se retrouvait le nez collé dessus!!!), et ma tante voyant que je ne pleurais pas le proche départ de mon grand-père m'a demandé si j'avais bien des sentiments pour lui!!!! Bien entendu que jen avais, et que j'en ai toujours, mais cela-dit, il n'était pas encore parti et je ne voulais pas l'enterrer trop tôt! C'était pour moi une façon de le garder encore en vie! Et je pense que je réagirai toujours comme ça, à l'heure actuelle, pour qui que ce soit dans ma famille!
Mais je n'en veux plus à ma tante, la souffrance du moment était telle pour elle, que la colère a pris le dessus et c'est moi qui ai pris, mais je le comprends, et ne lui en tiendrai jamais rigueur!
Chacun a sa façon de réagir dans ce genre de situations de souffrance intense, et aucune n'est blâmable, et que ceux qui pensent qu'il est simple de vivre et surtout de digérer la mort d'un enfant en service, viennent me montrer comment il ou elle fait! Mais je garderai cette capacité à être touchée par la situation, je trouve inhumain de se forger un coeur de pierre bien endurci!